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Rationner les soins au nom de l'idéologie

    
Le Conseil d'Etat a mis en consultation un projet de loi en novembre 2014 visant à instaurer une clause du besoin pour les équipements médicaux lourds, comme les IRM, scanner, salles d'opération etc. Le but de ce rationnement des soins: rien de moins que de limiter la hausse des coûts de la santé!
Après la caisse unique, l'idéologie est de retour pour essayer d'empêcher les coûts de la santé d'augmenter. Pierre-Yves Maillard vient en effet de lancer un projet pour limiter l'offre médicale pour les équipements techniques lourds. Il s'agit effectivement de prestations qui coûtent chères puisqu'elles sont à la pointe de la technologie et permettent une prise en charge optimale du patient. Pourtant, pour le chef du Département de la santé, cette qualité des soins est en fait un cadeau empoisonné fait à la population puisqu'elle impliquerait une forte hausse des coûts et donc des primes d'assurance. Sur quelles études se basent ses services pour appuyer ces affirmations? Le commentaire du projet n'en fait pas mention… 
L'exemple de Neuchâtel
Il aurait été judicieux de faire une comparaison avec le canton de Neuchâtel qui a mis en place une telle clause du besoin à la fin des années 90. Est-ce que nos voisins neuchâtelois ont vu leur primes stagner voire même baisser? Selon Statistiques Vaud, les primes moyennes vaudoises ont augmenté de 77% depuis 1996 alors que les primes neuchâteloises de 126%, soit quasiment la même évolution qu'en moyenne nationale. (cf: graphique ci-dessous). La population neuchâteloise ne semble donc pas avoir bénéficié d'une formidable amélioration de sa situation, au contraire. Les effets pervers d'une telle mesure ne se sont en revanche pas fait attendre: puisque les instituts de radiologie ne pouvaient plus se procurer des IRM, PET-Scan ou autres CT-Scan, ils ont créés des filiales dans les cantons voisins, à Berne notamment. Afin d'éviter les files d'attentes qui ont commencé à apparaître, les citoyens-patients neuchâtelois ont simplement utilisé leur voiture pour être pris en charge ailleurs, comme le montre l'exemple de l'Institut de radiologie neuchâtelois qui a ouvert une succursale à Gampelen pour pallier au manque d'IRM dans le canton. Si vraiment cette clause du besoin avait amélioré la prise en charge des patients et freiné la hausse des coûts de la santé, il aurait été utile de joindre les études le prouvant dans le commentaire du projet de loi. A voir, la limitation de l'offre de soins a simplement conduit à une baisse de la qualité de la prise en charge et à allonger les files d'attentes et pousser à l'externalisation de certains examens. L'impact sur les primes se fait donc toujours attendre. Sachant que, selon l'OFS, l'imagerie médicale des instituts/cabinets de radiologie privés représente environ 0,3% du total des coûts de la santé, il est évident que même en rationnant drastiquement les soins, comme le veut le Conseil d'Etat, l'impact sur les coûts serait extrêmement limité. 
Frilosité du secteur public et innovation du privé
Si la population ne bénéficiera donc pas d'un allégement de ses primes, pourquoi M. Maillard veut-il mettre en place de telles mesures. Peut-être qu'une des réponses peut se trouver dans l'apparition des nouvelles technologies coûteuses dans le système de santé: dans le canton de Vaud, c'est systématiquement le secteur privé qui a pris le risque d'essayer de nouvelles technologies médicales, comme les IRM. Le secteur public a toujours été réticent à investir dans ce domaine et était donc très heureux que les cliniques privées essaient ces nouveaux appareillages. Les hôpitaux publics pouvaient ainsi se procurer ces équipements plus tard sans grand risque financier. Cette frilosité du secteur public a entraîné une conséquence simple: le secteur privé dispose désormais de bien plus d'appareils de pointe. La mise en place de la clause du besoin aurait donc deux conséquences: bloquer les investissements du secteur privé pour que le secteur public puisse rattraper son retard, comme le montre l'exemple de Neuchâtel où les projets publics ont beaucoup plus de chances d'être accepté que les demandes privées. Mais aussi et surtout, cela sanctionnerait les investisseurs qui ont pris le risque de développer de nouvelles techniques et qui ont participé à l'amélioration de la prise en charge des patients. Une fois encore, il est difficile de voir en quoi la population en profiterait…
Le canton de Vaud dispose aujourd'hui certes d'une offre médicale de pointe en suffisance, qui est inégalement répartie entre le public et le privé pour des raisons historiques. Mais il serait très dangereux de vouloir faire baisser la qualité des soins en se basant sur des considérations idéologiques. Il est d'ailleurs particulièrement préoccupant de lire que le renouvellement des équipements déjà existants serait aussi soumis à la clause du besoin. Le vieillissement de ces appareils serait très risqué pour le personnel soignant mais aussi pour le patient. Il serait injuste que l'Etat fasse payer aux citoyens son manque d'investissement dans les nouvelles technologies, ce qui limiterait aussi fortement la diffusion de l'innovation médicale dans notre canton.
Alternatives à la limitation de la liberté économique
Afin de mieux cerner le problème, il s'agit de le prendre dans l'autre sens: il est vrai que les prestations concernées par ce projet sont particulièrement bien rémunérées et de ce fait coûteuses pour notre système. Par conséquent, la question du prix peut se poser et une adaptation des points Tarmed pourrait être envisageable à cet égard. Mais il faut aussi mettre le prix en parallèle à l'apport de ces techniques pour le patient. Et c'est bien dans cette perspective que des mesures peuvent être prises pour éviter la surprescription de soins. Il faut tout d'abord relever que dans le domaine de l'imagerie médicale, les médecins radiologues ne peuvent pas prescrire comme bon leur semble des examens pour rentabiliser leurs investissements. Ce serait faire injure au savoir faire du corps médical que de le prétendre et ce serait ignorer les contrôles déjà en place. Deuxièmement, ce sont bien souvent des médecins traitant qui prescrivent des examens aux patients afin de vérifier leurs diagnostics. Plutôt que de limiter l'offre de soins, il serait bien plus efficace d'édicter des recommandations ou d'intensifier les contrôles. En effet, de nombreuses associations faîtières de médecine développent des conseils afin d'éviter de faire subir un examen inutile à un patient. Par exemple, l'American College of Radiology (ACR) est largement reconnue pour ses avis pertinents. La revue médicale suisse rédige aussi des recommandations à l'égard des médecins. Il serait bien plus pertinent d'améliorer la reconnaissance et la mise en pratique de ces conseils plutôt que de rationner les soins. 
En outre, il pourrait être envisageable de renforcer les contrôles déjà présents afin d'éviter des prescriptions de soins qui ne seraient pas médicalement pertinentes voire même illégales selon les règles en vigueur. Bien sûr, le renforcement des recommandations ou des contrôles devraient se faire conjointement et en partenariat entre les parties prenantes: les associations faîtières d'un côté et l'Etat de l'autre, contrairement à ce projet unilatéral. 
Ces quelques pistes de réflexions montrent bien que restreindre la liberté économique n'aurait aucun impact sur le porte-monnaie du citoyen-patient. D'autres mesures pourraient être prises qui ne péjoreraient pas la qualité des soins dans le canton de Vaud mais améliorerait la confiance dans le système. Et c'est peut-être bien ce dernier point qui contrarie M. Maillard.
Robin Eymann
(Pour LeJournal CVCI n° 58 - janvier 2015)