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"Les vins suisses souffrent d'importantes distorsions de concurrence"

La branche vitivinicole vaudoise et suisse a dû procéder à une «révolution qualitative» au cours des quinze dernières années. Thierry Walz, directeur général du Groupe Uvavins détaille les principales préoccupations de la branche et de son entreprise.

Comment s’est passée l’année 2014 pour Uvavins et quelles sont les perspectives pour 2015?

Thierry Walz : L'année 2014 s'inscrit pour Uvavins comme pour la branche vitivinicole vaudoise et suisse dans la continuité des années précédentes. La récolte 2013, particulièrement faible en volume, a permis d'amener les stocks à un niveau historiquement bas. La rareté n'a plus beaucoup d'effet sur les prix, les importations de vins de tous les pays n'étant soumises qu'à des taxes réduites à l'intérieur d'un contingent tarifaire de 170 millions de litres, quantité qui n'a jamais été atteinte depuis son introduction. Ainsi, d'éventuels manques de vins suisses sont immédiatement compensés par des vins d'autres provenances sur les linéaires des magasins. Les vins suisses souffrent d'importantes distorsions de concurrence. Comme pour toutes les autres branches de l'économie, l'îlot de cherté helvétique contraint les vignerons et encaveurs à travailler à des coûts au moins trois fois supérieurs à ceux des pays européens. Contrairement à l'industrie, il n'y a pas de possibilité de délocaliser la production de vin suisse. D'importantes aides à l'investissement et à la promotion provenant de l'Union européenne et des Etats membres renforcent la capacité concurrentielle des producteurs des pays qui nous entourent (75 % des vins importés en Suisse proviennent de France, Italie et Espagne). Le franc fort rend les vins importés très attractifs et favorise le tourisme d'achat. Même si le monde vitivinicole suisse est globalement ouvert au libre-échange, force est de constater que les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tous les intervenants du marché.
Une règle comme celle du Cassis de Dijon, instaurée de manière unilatérale par la Suisse pour les produits de l'Union européenne, qui n'a eu aucun effet bénéfique pour les ménages suisses, tout au moins en ce qui concerne les denrées alimentaires (et qui ne touche pas le vin), paraît à cet égard particulièrement ridicule en comparaison avec les distorsions concurrentielles mentionnées ci-dessus, si son but est de faire baisser le prix des denrées alimentaires importées. 

On entend souvent dire que le marché suisse du vin est saturé. Quelle est la stratégie de votre entreprise dans ce contexte ?

Le marché du vin en Suisse est saturé d'une multitude d'offres. Sa caractéristique principale est d'être extrêmement concentré à l'échelon de la grande distribution (par exemple les deux principaux distributeurs importent déjà directement 40 % du total des vins étrangers). A l'opposé, le marché est extrêmement éclaté puisqu'une toute petite part est répartie entre 1'600 commerces de vin qui vendent moins de 2'000 litres par année; il s'agit de la moitié des commerces de vin enregistrés en Suisse.
Dans ce contexte, notre stratégie d'entreprise consiste à renforcer notre identité de producteur et à fournir des vins à des prix davantage différenciés aux différents canaux du marché. Des efforts conséquents pour la création de débouchés à l'exportation sont également en cours, nous les avons accentués depuis trois ans.

Avez-vous des projets d’extension ? Plus généralement, comment voyez-vous l’avenir pour Uvavins ? Et pour la branche vitivinicole dans son ensemble ?

Nos projets consistent pour l'immédiat surtout à renouveler une partie de notre outil de production. Notre vénérable cave de Morges, située au centre ville, a pu être vendue et nous construisons une cave ultra-moderne sur notre site de Tolochenaz. Cet investissement est la preuve de notre confiance en l'avenir de la production de vin suisse. La surface viticole étant une donnée fixe, l'avenir de la branche vitivinicole vaudoise et suisse passe nécessairement par une meilleure valorisation des produits, en particulier dans les hauts de gamme, dont la valeur est trop faible en comparaison du prix de vins importés de même niveau qualitatif, tout en produisant simultanément des vins de pays, aux coûts de revient inférieurs, qui permettent de reprendre des parts de marché à des vins étrangers. 

Comment jugez-vous l’environnement législatif et réglementaire actuel vous concernant ?

La réglementation vitivinicole actuelle est certes perfectible, mais elle est la résultante de décennies, voire de siècles de pratiques régionales. Vouloir la simplifier ou l'harmoniser à tout prix entre les différentes régions du canton, voire de Suisse, ne peut amener qu'à des tensions et à des situations encore plus insatisfaisantes, qui par ailleurs n'apporteront aucune amélioration perceptible pour le consommateur. 

Votre métier a-t-il fondamentalement changé au cours des 10-15 dernières années ? Si oui, en quoi ?

Il y a encore une quinzaine d'années, notre métier était principalement de produire des vins et de les répartir au mieux sur le marché selon la fluctuation des récoltes. Depuis lors, il a fallu procéder à une véritable révolution qualitative pour se maintenir sur le marché. Il nous manque encore la maîtrise complète de la commercialisation, le contexte économique dans lequel nous évoluons s'étant profondément modifié et n'étant pas encore stabilisé. La forme coopérative de notre société nous permet sans aucun doute de pouvoir affronter les évolutions encore à venir avec toute la solidité requise. 

(Décembre 2014)